Difficile de dire quel sentiment prédomine quand on évoque Sergueï Efron… De la compassion pour cet homme cacochyme, de l’admiration pour un patriote qui a toujours lutté au risque de sa vie pour ses idéaux ou de l’effroi quand cet idéal l’a conduit à faire le choix du NKVD, la machine de mort de l’appareil répressif stalinien ? Deux choses sont évidentes : il reste à de nombreux égards une énigme et c’est bien lui qui, souvent, a fait basculer la vie de Marina Tsvetaeva !

Issu d’une famille de révolutionnaires anarchistes, Efron rencontre Tsvetaeva chez leur ami commun Max Volochine à Koktebel en Crimée. Tsvetaeva tombe follement amoureuse de ce beau jeune homme malade aux grands yeux bleus. Ils se marient en 1912 et cette union donne naissance la même année à une petite fille, Ariadna.

Avec défi, je porte son anneau !

Je suis sa femme devant l’éternité – pas sur papier.

Son visage est étroit comme une épée.

Sa bouche est muette, les coins abaissés,

Ses sourcils – douloureux et splendides.

Dans son visage tragique se sont mêlées

Deux dynasties anciennes.

Il est fin comme les branches naissantes.

Ses yeux – admirables, inutiles.

Sous les sourcils ailés déployés –

Deux précipices.

Je reste fidèle à son visage de chevalier,

– Pour vous tous qui mourez et vivez sans peur –

En des temps fatidiques – on chante

De telles stances – avant d’aller à l’échafaud.

Marina Tsvetaeva, Koktebel, 3 juin 1914

Les événements politiques bouleversent la vie du couple. Efron s’engage tout d’abord comme infirmier dans un train militaire pendant la guerre en 1914. A la révolution, en 1917, il prend le parti des Blancs et combat pendant la campagne de glace dans les troupes du commandant Markov. Démobilisé à Constantinople, il rejoint Berlin, puis Prague, où il reprend des études à l’université. C’est là que Marina et Ariadna le rejoignent. La famille qui s’agrandit en 1925 d’un petit garçon passe trois ans dans la région pragoise (1922-1925).

La période française est douloureuse pour Efron. Souvent malade, il ne trouve sa place ni en France ni dans la communauté des émigrés russes. Il fait plusieurs tentatives infructueuses de travail, comme figurant de cinéma. Il se lance dans une activité politique et éditoriale. Membre du groupe des Eurasiens, il collabore à la publication de différentes revues (Verstes et Eurasie), dont l’existence sera brève. Rapidement, la nostalgie de la Russie devient obsédante. Une partie du groupe des Eurasiens, dont Efron, décide de se rallier idéologiquement à l’URSS. Commence ce long chemin qui mène de l’idéalisme au fanatisme !

Sergueï Yakovlevitch est complètement englouti dans la Russie soviétique, il ne voit aucune autre possibilité, mais en elle, il ne voit que ce qu’il veut. (Lettre de Tsvetaeva à Anna Teskova, Clamart, le 16 octobre 1932)

Tout d’abord travaillant pour l’Union du rapatriement en URSS, il est recruté secrètement par le NKVD, pour qui il recrute des volontaires pour la guerre d’Espagne et organise la surveillance « d’ennemis du peuple ». En septembre 1937, un agent soviétique polonais, du nom de Porestky (nom de code Ludwig, connu sous le nom d’Ignace Reiss) est abattu à Lausanne pour avoir dénoncé la dérive dictatoriale de Staline. Efron est compromis et est envoyé d’urgence en URSS, pour éviter le scandale politique.

https://www.persee.fr/doc/cmr_0008-0160_1991_num_32_2_2282

Mais la machine répressive du régime soviétique s’abat peu de temps après sur lui. Il est arrêté dans la résidence du NKVD à Bolchevo (environ 100 km à l’est de Moscou), sous le prétexte d’être un agent à la solde des français. Il est fusillé en octobre 1941 dans les caves de la Loubianka.